
Description d’un confinement en famille
Vendredi 13 mars,
Depuis ce matin, je ne me sens vraiment pas bien. J’ai des frissons et je claque des dents. Je couve quelque chose c’est sûr. J’avale un Doliprane. Çà va aller.
Après la fermeture des frontières du Maroc, lundi avec l’Italie, puis mercredi avec l’Espagne il se murmure que c’est au tour de la France aujourd’hui.
Fils aîné est prévenu mais il est en cours.
Face au coronavirus qui se répand, le Maroc a pris la décision de fermer les écoles à partir de lundi.
A 10h je récupère Queen M puis une amie nous rejoint pour faire le point sur le projet bénévole sur lequel nous travaillons depuis des mois.
Enfin, j’arrive au bout des actions que je devais mener et si tout va bien, très bientôt une médiathèque rénovée et moderne pourra ouvrir ses portes au profit des élèves du collège El Ouafa.
J’ai décommandé mon déjeuner, je ne vais vraiment pas bien. Je claque des dents. A 12h30, je suis au lit. J’ai de la fièvre. Beaucoup de fièvre.
Voilà c’est officiel, le Maroc ferme ses frontières avec la France, à effet immédiat.
Fils Ainé n’aura finalement même pas le choix.
Samedi 14 mars
J’ai rendez-vous chez le généraliste. La nuit a été agitée. J’ai 39,2 de fièvre. A l’immense soulagement du médecin, j’ai une grosse angine. Contagieuse. Me voilà donc sous antibiotiques et en quarantaine.
Je retourne dans mon lit avec de la fièvre. Confinement dans ma chambre.
Lundi 16 mars
Suite à une réunion de crise la veille, l’Homme passe en télétravail complet. Il a de la chance, beaucoup de sociétés ne peuvent offrir cette possibilité à leurs salariés. D’autres ferment leurs portes. Le chômage technique n’existe pas. Il est demandé aux salariés de prendre leurs congés puis ensuite c’est du “sans solde” ou des licenciements.
Les enfants commencent à s’organiser pour suivre les cours à distance. Avec plus ou moins de facilité selon les cours et les enseignants. Dans l’ensemble, l’emploi du temps est respecté.
Tout le monde passe en phase d’adaptation en ce début de confinement.
Vendredi 20 mars
Fin de ma quarantaine, je vais mieux et surtout j’ai réussi à ne pas contaminer ma tribu.
Les restaurants, cafés, lieux de prière, hammams, commerces etc ferment.
Je sors effectuer quelques courses alimentaires. Au supermarché de proximité, on a collé du scotch coloré au sol pour indiquer la distance à respecter, la caissière a désormais une vitre devant elle et elle porte des gants. Mais bon, il y a des progrès à faire pour le respect des distances !
Je rends visite à mon incontournable ami, le distributeur d’argent et au moment de taper mon code j’ai une hésitation. Je compte bien le nombre de touches que j’ai touchées sur le clavier et aussitôt de retour dans mon véhicule je lave mes mains au gel hydroalcoolique.
Aujourd’hui, il pleut ! 3 mois qu’on n’a pas vu une goutte de pluie ici et maintenant que je ne suis plus une loque, je ne peux pas en profiter.
Car le Maroc a déclaré l’état d’urgence sanitaire et la restriction de circulation à compter de ce vendredi 18h.
Des vidéos de char militaire avec des messages tels que “l’armée arrive à Casablanca” circulent sur les réseaux sociaux. Cela fait peur !
Lundi 23 mars
Toute personne de plus de 18 ans a l’obligation de présenter une autorisation de circulation à l’extérieur de chez elle. L’autorisation doit être signée par le “moqqadem”, sorte d’autorité de quartier.
Cette autorisation rédigée uniquement en arabe, propose 4 autorisations de sortie (professionnel, courses alimentaires, achats de médicaments, soins médicaux). Ici pas de case pour “prendre l’air”, je “promène mon chien”, “j’en peux plus des gosses, de ma femme” etc.
L’Homme s’est alors proposé aussitôt pour faire les courses.
Grâce à l’entraide généreuse de femmes de Casablanca sur des groupes whatsapp ou Facebook, le document a été traduit en français et les blagues du week-end ont tournées autour de la recherche du signataire du fameux sésame et de la question de savoir si l’autorisation était à signer pour chaque cas mentionné, à chaque sortie etc.
Au final, l’autorisation est valable pour toutes les sorties demandées à l’exception du motif professionnel qui doit être validé par l’employeur.
Désormais nous connaissons la durée du confinement : à minima jusqu’au 20 avril à 18h.
Ici toujours pas de signature en vue, mais on ne s’inquiète pas.
Durant le week-end, nous avons reçu les bulletins du second trimestre. Queen M a les félicitations. Quant à Loulou, le saut de classe est effectivement un non événement et il récolte des “bravos”. Les résultats de Fils aîné sont également satisfaisants.
Ce dernier, en confinement en France également, a décidé de rester dans son logement. L’école a mis aussi en place des cours à distance et il a beaucoup de travail. Sa copine est également là, ce qui me rassure.
Mercredi 25 mars
Toujours pas de “moqqadem” alors qu’il est passé hier dans notre quartier !
Le gaz commence à manquer. Pas question de se retrouver sans eau chaude et sans possibilité de cuisson. Car, on est 4 à table, matin, midi et soir !
Pas d’autre solution, j’appelle la société de livraison. Car ici on fonctionne aux bouteilles de gaz. J’ai besoin de 2 bouteilles de 34 kgs. J’en profite pour demander au gentil gardien de la maison d’en face comment on appelle le “moqqadem”. Il passe un appel.
15h, on sonne. Je sors et tombe sur l’arrière train d’un policier sur son tapis de prière que je prends pour le “moqqadem”. Trois officiels, dans une auto garée devant la maison, me font signe qu’il est plus loin.
C’est fou ce que ma porte d’entrée et le trottoir devant la maison ont du succès !
En fait de “moqqadem” c’est un jeune homme avec un cahier d’enregistrement, des feuilles et un tampon qui écrit sur sa mobylette. Voilà c’est fait, nous avons enfin le sésame signé. Inutile de dire que bien que l’Homme et moi nous soyons tenus à bonne distance, nous n’avons eu d’autre choix que de nous approcher pour signer avec le stylo tendu ! Vite, vite lavage de mains !
Pour traiter les patients atteints du coronavirus, le Maroc a décidé hier de recourir à la chloroquine, un médicament destiné à traiter initialement le paludisme. A cet effet, la filiale marocaine de Sanofi a remis son stock de nivaquine et plaquenil.
Le nombre de contaminés ne cesse de croître mais comme il n’y a pas de tests, il est très difficile de connaitre l’étendue de la pandémie.
Le gaz a été livré, là aussi difficile de respecter les distances minimales requises. Que pouvons-nous dire à ces personnes à part de faire attention à elles ?
Jeudi 26 mars
Les cours se poursuivent parfois via classroom, parfois via l’application Zoom et les élèves comme les enseignants ne manquent pas d’humour.
Pas plus indulgents qu’avec leurs “vieux” parents, Queen M et Loulou ne se privent pas pour pointer du doigt les difficultés de certains vis à vis des nouvelles technologies !
Mais dans l’ensemble, cela fonctionne;
Queen M, 16 ans, peste comme d’habitude au sujet des mathématiques, spécialité qu’elle abandonnera en fin de Première. Tout va bien.
Aucun de nous n’évoque le bac de français ni le brevet en fin d’année scolaire.
L’Homme lui enchaîne les conférences téléphoniques. Il y a désormais un panneau devant la pièce qu’il occupe en journée avec la mention “Vidéo-conférence/appels : Ne pas déranger !”.
Fils Aîné et Loulou se donnent rendez-vous plusieurs fois par semaine pour jouer au même jeu en ligne. Nous partageons avec Fils Aîné les anecdotes, blagues et autres.
Pour ma part, je passe un temps certain en corvées domestiques et en cuisine. Je fais du rangement également.
Confinement et adaptation
Nous avons instauré une nouvelle habitude familiale : celle de nous retrouver pour une activité en famille en fin de journée. Cela peut être un jeu de société, une partie de jeu vidéo, un tournoi de ping pong. Bon pour l’instant, je perds à tous mais je n’ai pas dit mon dernier mot !
Mon vélo elliptique connaît une renaissance. Il vient d’être transporté dans le salon car un peu de sport est bienvenu en cette période particulière. Il est vrai qu’il n’avait guère servi depuis notre arrivée au Maroc il y a deux et demi. Nous refaisons connaissance. J’en profite pour regarder un épisode d’une série.
Nous évitons désormais les journaux télévisés français car ils sont d’une part, très anxiogènes et parce qu’ils ne parlent que de la France alors que la pandémie est mondiale !
Nous prenons des nouvelles de nos proches régulièrement et chaque jour, j’ai une pensée pour tous ceux qui se rendent au travail pour le bien de tous avec souvent la peur au ventre !
On surveille également de près le câble qui part de la maison jusqu’au poteau dans la rue. Car la fibre Internet c’est lui ! Une fois déjà le câble a été emporté et il a fallu plusieurs jours avant réparation !
L’Homme a remarqué que des branches commencent à à toucher le précieux câble. Donc ce week-end, on lancera l’opération “Sauvegardons le soldat Wifi !
Car le printemps est là et les quelques pluies de ces derniers jours ont donné un coup d’accélérateur à Dame Nature.
Certes, nous sommes en plein confinement mais nous déjeunons dans le jardin avec en bruit de fond le ressac de la mer et le pépiement des oiseaux.
Vendredi 27 mars
Depuis la France, Fils Aîné nous a envoyé une photo d’un camion de pompier quittant sa résidence avec un malade atteint du covid 19. Le premier.
Quoi qu’il arrive, nous sommes impuissants. 2 000 kms et deux frontières aujourd’hui fermées nous séparent. C’est terriblement stressant.
Le moral comme le sommeil est agité.
Heureusement les copines sont là et on se soutient mutuellement. Les réseaux sociaux peuvent être très positifs.
4 décès au Maroc à ce jour, des guérisons, de nouvelles contagions également.
Au contraire d’autres consulats qui ont interrogé leurs ressortissants pour savoir s’ils souhaitaient être rapatriés, aucune nouvelle de l’ambassade ni du consulat de Casablanca au sujet de ce confinement.
Rapatriement
Il faut rapatrier les milliers de touristes surpris par la brutale fermeture des frontières. Il faut gérer les centaines de camping-caristes sur le sol marocain. Certains sont confinés dans le sud marocain : Zagora, Taroudant, Tata, Agadir. D’autres ont tenté de remonter vers le nord vers l’enclave espagnole de Ceuta et se sont retrouvés bloqués puisqu’il n’y a plus de bateaux. Ils sont désormais sur un énorme parking à Tanger Med et bénéficient désormais de conditions sanitaires correctes.
La personne qui s’occupe de la piscine même quand elle n’est pas praticable, comme actuellement, n’est pas venue ce matin. Est-ce à dire que le confinement est respecté ? Dans mon quartier résidentiel, il semble que oui. Mais qu’en est-il des quartiers populaires ? Qu’en est-il de ces personnes qui, si elles ne gagnent pas de dirhams aujourd’hui, ne mangeront pas demain ?
Casa Bénévolat, plateforme qui met en lien les bénévoles et les associations se trouve de facto à l’arrêt. Comme d’autres, je réfléchis actuellement à un moyen de venir en aide à ces populations, en utilisant la plateforme par exemple.
Et puisque ce soir, c’est le week-end, nous avons rendez-vous à 19h pour notre premier apéro virtuel avec des amis.
Allez hop, il est temps de se mettre aux fourneaux… virtuels ou bien…
La suite du confinement c’est ici
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